Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol18.djvu/237

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nonça pas une parole et partit. Je ne sais pas ce qui se passa à la gare, mais on l’en ramena comme un mort… Je ne l’aurais pas reconnu… Prostration complète, dit le docteur… Ensuite ce fut presque de la fureur… Ah ! que dire ! fit la comtesse avec un geste de la main. Quel moment terrible !… Non, vous avez beau dire, c’était une mauvaise femme. Et que signifie cette passion désespérée ?… Tout cela pour prouver quoi ?… Qu’a-t-elle prouvé… Elle s’est perdue et a fait le malheur de deux honnêtes hommes : son mari et mon malheureux fils.

— Et son mari ? demanda Serge Ivanovitch.

— Il a pris sa fille, Alexis, les premiers temps, consentant à tout. Maintenant il est tourmenté d’avoir donné sa fille à un étranger, mais il ne peut reprendre sa parole. Karénine est venu aux funérailles. Nous avons tâché qu’il ne se rencontrât pas avec Alexis. En somme pour lui, le mari, c’était plus facile : elle le déliait. Mais mon pauvre fils s’était donné entièrement à elle. Il avait tout abandonné : moi, sa carrière, et malgré cela elle n’a pas eu pitié de lui, et s’est plue à l’accabler tout à fait. Non, vous aurez beau dire, sa mort même est la mort d’une vilaine femme, sans religion. Que Dieu me pardonne, mais je ne puis m’empêcher de haïr son souvenir en voyant le malheur de mon fils.

— Mais maintenant, comment va-t-il ?

— Dieu a eu pitié de nous… cette guerre de Serbie… Je suis une vieille femme, je n’y com-