Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol18.djvu/73

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— Et comment m’avez-vous défendu ?

— Selon les attaques. Mais, ne voulez-vous pas de thé ?

Elle se leva et prit un livre relié en maroquin.

— Donnez-le-moi, Anna Arkadievna, dit Vorkouiev, désignant le livre ; c’est une belle chose.

— Non, c’est très mauvais.

— Je lui en ai parlé, dit Stépan Arkadiévitch à sa sœur en désignant Lévine.

— C’est le tort que tu as eu ; mes écrits sont comme ces paniers et ces sculptures, faits dans les prisons, que me vendait parfois Lise Merkhalov. C’était elle qui était chargée des prisonniers dans cette société, dit-elle s’adressant à Lévine, et ces malheureux faisaient des miracles de patience.

Lévine reconnut encore un nouveau trait du caractère de cette femme qui lui plaisait si extraordinairement. Outre l’esprit, la grâce, la beauté, elle était encore très sérieuse. Elle ne voulait pas lui cacher l’état pénible de sa situation. Après avoir prononcé ces paroles, elle soupira et son visage s’immobilisa dans une expression sévère. Ainsi, elle était encore plus belle. Ce n’était plus cette expression d’éclat et de bonheur rayonnant, fixée par le peintre sur son portrait. Lévine regarda encore une fois le portrait et son visage, quand, prenant son frère par le bras, elle passa sous la haute porte, et il ressentit pour elle une tendresse et une pitié dont lui-même s’étonna.