Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol18.djvu/82

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honnête qui aime sa famille, pourquoi lui, est-il si indifférent à mon égard ?… Non, pas indifférent, il m’aime, je le sais… mais quelque chose de nouveau nous sépare maintenant. Pourquoi n’est-il pas là de toute la soirée ? Il m’a fait dire par Stiva qu’il ne pouvait pas quitter Iachvine, qu’il devait surveiller son jeu ? Mais est-ce donc un enfant, ce Iachvine ?… Admettons que ce soit vrai, il ne ment pas… dans cette vérité il y a autre chose… Il est content de l’occasion de me montrer qu’il a d’autres devoirs… Je le sais, j’en conviens… mais pourquoi me le prouver ? Il veut me montrer que son amour pour moi ne doit pas porter atteinte à sa liberté. Mais ce ne sont pas des preuves qu’il me faut, c’est de l’amour… Il devrait comprendre combien cette vie à Moscou m’est pénible ! Est-ce que je vis ? Je ne vis pas. J’attends le dénouement qui s’éloigne… Pas encore de réponse !… Et Stiva dit qu’il ne peut aller chez Alexis Alexandrovitch… Moi, je ne puis pas lui écrire ; je ne puis rien faire, rien commencer, rien changer… Je reste là, j’attends, en inventant des passe-temps : cette famille anglaise, la littérature, la lecture, mais tout cela ce n’est qu’une tromperie, quelque chose comme la morphine… Il devrait avoir pitié de moi », se disait-elle sentant dans ses yeux des larmes de pitié pour elle-même.

Elle entendit le coup de sonnette sec de Vronskï. Hâtivement elle essuya ses larmes, s’assit près de