Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol18.djvu/83

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la lampe et ouvrit un livre, feignant d’être calme. Il fallait lui montrer du mécontentement pour ce fait de n’être pas rentré comme il l’avait promis, mais seulement du mécontentement, pas de la douleur, et, principalement, ne pas inspirer de pitié. Elle pouvait avoir pitié d’elle-même, lui pas.

Elle ne voulait pas lutter ; elle lui reprochait de ne pas vouloir la lutte, et involontairement elle-même se mettait en posture de lutter.

— Eh bien ! tu ne t’es pas ennuyée ? lui demanda-t-il, l’air animé et joyeux, en s’approchant d’elle. Quelle terrible passion que le jeu !

— Non, je ne me suis pas ennuyée. Du reste, depuis longtemps j’ai appris à ne pas m’ennuyer. Stiva est venu avec Lévine.

— Oui, ils voulaient venir dès ce soir. Eh bien, comment trouves-tu Lévine ? demanda-t-il, s’asseyant près d’elle.

— Très bien. Il n’y a pas longtemps qu’ils sont partis. Et que fait Iachivne ?

— Il avait gagné dix-sept mille roubles ; je lui conseillais de partir, il y consentait presque, mais il retourna au jeu et perdit.

— Alors, pourquoi es-tu resté ? demanda-t-elle tout à coup levant les yeux sur lui.

L’expression de son visage était hostile et froide.

— Tu as dit à Stiva que tu restais pour surveiller Iachvine, cependant tu l’as quitté !…