Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol19.djvu/108

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reculés, s’était donné pour guide, autrement dit je revenais à la foi en Dieu, au perfectionnement moral, à la tradition qui transmet le sens de la vie. La différence était qu’alors tout cela avait été accepté inconsciemment tandis que, maintenant, je savais que je ne pouvais vivre sans cela.

Il me semblait qu’il m’était arrivé une chose étrange : un jour, je ne me rappelais pas quand, on m’avait mis dans une barque, on m’avait repoussé d’une rive quelconque, inconnue de moi, en m’indiquant la direction vers l’autre bord ; on avait mis les rames dans mes mains inexpérimentées et on m’avait laissé seul. Je ramais comme je pouvais et voguais, mais plus je gagnais le large, plus le courant qui m’éloignait de la côte devenait rapide, et plus fréquentes mes rencontres avec des navigateurs emportés comme moi par le courant. Il y avait des navigateurs isolés qui continuaient à ramer ; d’autres avaient abandonné leurs rames ; il y avait de grands bateaux, d’énormes vaisseaux remplis de gens. Les uns luttaient contre le courant, les autres se confiaient à lui. Plus je voguais, en regardant au loin la direction de tous les navigateurs, plus je perdais celle qui m’avait été indiquée.

Arrivé juste au milieu du courant, parmi les barques et les vaisseaux, je perdis complètement la direction, et jetai mes rames. De tous côtés, avec joie et allégresse, s’approchaient de moi, à voiles ou à rames, des navigateurs qui suivaient le cou-