Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol19.djvu/20

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qu’on m’avait enseigné dès l’enfance, mais je croyais à quelque chose. À quoi ? Je ne pourrais nullement le dire. Je croyais en Dieu, ou plutôt je ne niais pas Dieu ; mais quel Dieu ? Je ne savais. Je ne niais pas le Christ et sa doctrine, mais en quoi consistait cette doctrine, je ne l’aurais pu dire.

Aujourd’hui, en me rappelant ce temps, je vois clairement que ma religion, — ce qui, en dehors des instincts bestiaux, guidait ma vie — ma vraie croyance d’alors, était ma foi dans le perfectionnement. Mais en quoi consistait ce perfectionnement, quel était son but, je ne le savais point. Je tâchais de me perfectionner intellectuellement ; j’apprenais tout ce que je pouvais, tout ce vers quoi me poussait la vie. Je m’efforçais de perfectionner ma volonté ; je m’étais composé des règles que j’essayais d’observer. Je me perfectionnais physiquement par toutes sortes d’exercices corporels et en m’habituant à l’endurance par des privations diverses. Tout cela me semblait être le perfectionnement. Sans doute, au-dessus de tout, il y avait le perfectionnement moral, mais, bientôt, il fut remplacé par le perfectionnement en général, c’est-à-dire par le désir de me rendre meilleur, non pas à mes propres yeux ou aux yeux de Dieu, mais aux yeux des autres hommes. Bientôt cette tendance fit place elle-même au désir d’être plus fort que les autres hommes, c’est-à-dire plus célèbre, plus important et plus riche qu’eux.