Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol19.djvu/207

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et son irritation s’en accrut. Il se mit à accabler son monde de coups et de travail. Et les paysans souffrirent davantage encore.

Il arrive qu’on supprime de tels monstres.

Les paysans commencèrent à parler de supprimer le maître. Ils s’assemblaient souvent dans quelque coin et le plus hardi disait :

« Supporterons-nous encore longtemps ce brigand ? Mourir pour mourir, tuer une créature pareille n’est pas pécher. »

Un jour, avant la semaine sainte, il y eut réunion dans les bois : le gérant avait envoyé les paysans émonder la forêt. À l’heure du repas ils se réunirent et délibérèrent.

— Comment vivre maintenant ? dirent-ils. Il nous épuisera jusqu’au bout. Nous sommes exténués. Plus de repos ni jour ni nuit pour nous et pour nos femmes. Et s’il n’est pas satisfait, le fouet. Siméon est mort sous le fouet ; Anissius a péri dans les entraves. Qu’attendrons-nous encore ? Il reviendra ce soir et s’en donnera à cœur joie. Il suffirait de le tirer de son cheval, de lui donner un coup de hache, et tout serait dit. Nous l’enfouirons comme un chien et l’eau coulera par là-dessus. Seulement entendons-nous bien, soyons unis ; pas de défection !

Ainsi parla Vassili Minaïev. Il était le plus acharné contre le gérant, qui le fouettait toutes les semaines et lui avait pris sa femme pour en faire sa cuisinière.