Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol19.djvu/26

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le bien de l’humanité. Et des milliers d’entre nous, tout en se nuisant et s’invectivant mutuellement, publiaient, écrivaient, et instruisaient les autres. Sans remarquer que nous ne savions rien, qu’à la question la plus simple de la vie : Qu’est-ce qui est bon et qu’est-ce qui est mauvais ? nous ne savions que répondre, tous, sans écouter personne, nous parlions tous ensemble, feignant parfois d’approuver et de louer autrui afin d’être également approuvés et loués, parfois nous irritant les uns contre les autres, comme dans une maison de fous.

Des milliers d’ouvriers travaillaient jour et nuit, de toutes leurs forces, pour imprimer des millions de mots que la poste répandait par toute la Russie, et nous essayions d’enseigner encore davantage, sans parvenir à enseigner tout, et nous nous fâchions toujours de ce qu’on ne nous écoutât pas assez.

Quelle chose étrange !… c’est maintenant que je le comprends. Notre vrai désir, le plus intime, était de recevoir le plus d’argent et de louanges possible. Pour atteindre ce but, nous ne pouvions qu’écrire des livres et des articles. Et nous le faisions. Mais pour faire une œuvre si inutile et en même temps posséder la certitude d’être des gens très importants, nous avions encore besoin d’un raisonnement qui justifiât notre activité. Et nous inventâmes le suivant : tout ce qui existe est rai-