Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol19.djvu/31

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leur ignorance que par des discussions entre eux. Ici, avec les enfants des paysans, je crus pouvoir tourner cette difficulté en laissant les enfants apprendre ce qu’ils voudraient.

Ce m’est étrange, à présent, de me rappeler comment je biaisais pour réaliser mon désir d’enseigner, sachant très bien, au fond de mon âme, que je ne pouvais enseigner rien de ce qu’il fallait, l’ignorant moi-même. Après une année passée à m’occuper de l’école, je partis pour la seconde fois à l’étranger, afin d’y apprendre le moyen d’arriver à instruire les autres, tout en ne sachant rien soi-même.

Il me sembla avoir appris cela à l’étranger, et, armé de toute cette sagesse, l’année de l’émancipation des serfs je retournai en Russie, où, ayant accepté la fonction d’arbitre territorial[1], je me mis à enseigner le peuple ignorant dans les écoles, et les gens instruits dans une revue que je commençai à éditer. Il me semblait que tout allait bien. Cependant je sentais que je n’étais pas tout à fait sain d’esprit et que cela ne pouvait durer longtemps. J’en serais peut-être venu alors à ce désespoir auquel j’arrivai quinze ans plus tard, si je n’avais envisagé un autre côté de la vie, que je

  1. Fonction instituée lors de l’émancipation des serfs, pour régler les différends entre les paysans affranchis et les propriétaires.