Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol19.djvu/36

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IV

Ma vie s’arrêta. Je pouvais respirer, manger, boire, dormir, car je ne pouvais point ne pas respirer, ne pas manger, ne pas dormir. Mais ce n’était pas la vie, car je ne sentais point de désirs dont la satisfaction me parût raisonnable. M’arrivait-il de désirer quelque chose, je savais d’avance que de mon désir, réalisé ou non, rien ne résulterait. Si une fée était venue et m’avait proposé de satisfaire chacun de mes désirs, je n’aurais su que lui demander. Si, dans un moment d’ivresse, je retrouvais non le désir mais l’habitude du désir, aussitôt redevenu calme, je savais que c’était une tromperie, qu’il n’y avait rien à désirer. Je ne pouvais même pas souhaiter de connaître la vérité, puisque je devinais en quoi elle consistait. La vérité était que la vie est une insanité. J’avais eu l’air de vivre, de marcher, et j’étais arrivé à l’abîme, et je