Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol2.djvu/106

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ordre de papa, il fallait atténuer la faute et accomplir le premier. Je montai dans la chambre en inspectant mon habit, mon épée et mon chapeau posé sur la chaise, et déjà j’étais prêt à partir, quand arriva chez moi, pour me féliciter, le vieux Grapp, amenant avec lui son fils Ilinka.

Le père Grapp, un Allemand russifié, était horriblement doucereux et flatteur et s’enivrait souvent. En général il ne venait chez nous que pour demander quelque chose et papa, qui le recevait parfois dans son cabinet de travail, ne l’avait jamais invité à notre table. Son humilité et ses quémanderies s’alliaient à une certaine bonhomie extérieure et à l’habitude de notre maison, si bien que tous lui faisaient grand mérite de son attachement pour nous. Mais moi, je ne l’aimais pas, et quand il parlait, j’avais toujours honte pour lui.

Très mécontent de l’arrivée de ces intrus, je n’essayai même pas de cacher mon mécontentement. J’étais si habitué à regarder de haut Ilinka, et il était si habitué à nous croire en droit de le faire, qu’il m’était un peu désagréable qu’il fût étudiant comme moi. Il me semblait que lui-même devait aussi avoir un peu honte de cette égalité. Je leur dis bonjour très froidement et sans les inviter à s’asseoir, car j’étais gêné de le faire en pensant qu’ils pouvaient s’asseoir sans une invitation, je donnai l’ordre d’atteler la voiture. Ilinka était un jeune homme très bon, très honnête et pas sot du