Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol2.djvu/145

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sa coiffure, évidemment se rajeunissait encore et n’eût pas montré ses boucles grises si elle en avait eu. Son regard et son attitude envers moi, au premier abord, me semblèrent très fiers et m’intimidèrent, tandis qu’avec la princesse je ne sentais aucune gêne. Peut-être que son obésité et une certaine ressemblance avec le portrait de Catherine la Grande, qui me frappèrent en elle, lui donnèrent, à mes yeux, un aspect hautain, mais j’étais tout confus, quand, me regardant fixement, elle me dit : « Les amis de nos amis sont nos amis. » Je me rassurai et, spontanément, mon opinion sur elle se modifia lorsque, après avoir prononcé ces paroles, elle se tut et ouvrant la bouche, soupira péniblement. Sans doute à cause de son embonpoint avait-elle l’habitude, après quelques paroles, de soupirer profondément en entr’ouvrant la bouche et en levant un peu ses grands yeux bleus. Dans cette habitude, s’exprimait, je ne sais pourquoi, une bonhomie si charmante, qu’après ce soupir, je perdis toute crainte à son égard et que même elle me plut beaucoup. Ses yeux étaient superbes, sa voix sonore et agréable, même les lignes très rondes de sa corpulence, à cette époque de ma jeunesse, ne me semblaient pas sans beauté.

Lubov Sergueievna devait, me semblait-il, comme amie de mon ami, me dire quelque chose de très amical et d’intime ; elle me regarda en silence assez longtemps, comme se demandant si ce