Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol2.djvu/262

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tables sentiments et mon inclination, et je tâchais de me montrer tout autre que j’étais, et même tel qu’on ne pouvait être en réalité.

Je m’efforcais de paraître enthousiaste, passionné ; j’exclamais des ah ! je faisais de grands gestes passionnés quand quelque chose paraissait me plaire beaucoup ; et en même temps, je tâchais de me montrer indifférent pour toute chose extraordinaire que je voyais ou dont on me parlait, j’essayais de paraître railleur, méchant, impitoyable et en même temps fin observateur ; je tâchais de paraître logique dans tous mes actes, précis et ponctuel dans la vie et néanmoins dédaigneux de toutes les choses matérielles. Je puis affirmer que j’étais bien meilleur en réalité que cet être étrange que je m’efforçais de paraître. Mais cependant, tel que je me présentais, les Nekhludov m’aimaient et heureusement pour moi, il me semble qu’ils n’étaient pas dupes de ma feinte. Seule Lubov Sergueievna, qui me considérait comme le pire égoïste, athée et moqueur, ne m’aimait pas, je crois ; souvent elle discutait avec moi, se fâchait et me frappait de ses phrases courtes, illogiques. Mais Dmitri gardait toujours avec elle les mêmes relations bizarres, plus qu’amicales, et il disait que personne sauf elle, ne le comprenait et qu’elle lui faisait beaucoup de bien. Cette amitié continuait à attrister toute sa famille.

Une fois, Varenka, en causant avec moi de ce