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Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol2.djvu/320

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plus tôt ? — objecta-t-il d’un ton de reproche, en s’asseyant sur un banc sale et boiteux.

— Je n’ai pas osé, votre Excellence, — répondit Tchouris, avec le même sourire à peine visible, en remuant ses pieds noirs et nus, sur le sol de terre inégal. Mais il prononça ces mots avec tant de hardiesse et de calme qu’il était difficile de croire qu’il n’osait pas, vraiment, venir chez le seigneur.

— C’est notre sort à nous, paysans… comment oser ? — commençait la femme en sanglotant.

— Ne bavarde pas — lui dit Tchouris.

— Tu ne peux pas vivre dans cette izba, c’est impossible ! — dit Nekhludov après un court silence. — Voilà ce que nous allons faire, mon cher…

— J’écoute — fit Tchouris.

— As-tu vu les izbas en pierre que j’ai fait construire dans le nouvel hameau et dont les murs sont encore vides ?

— Comment ne pas les voir ? — dit Tchouris, en montrant dans un sourire ses dents encore bonnes et blanches. — On a beaucoup admiré, quand on a construit ces izbas, elles sont magnifiques. Les gens ont ri et se sont demandé s’il n’y aurait pas de magasins pour mettre leurs blés dans les murs et les préserver des rats. Les izbas sont superbes, on dirait des prisons — conclut-il avec l’expression d’un étonnement railleur et en hochant la tête.