Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol2.djvu/73

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sur moi et en remarquant mes lèvres tremblantes et mes yeux pleins de larmes, il interpréta sans doute mon émoi comme la demande de m’ajouter un point, car avec une sorte de pitié, il me dit : (et encore devant un autre professeur qui arrivait en ce moment :)

— Bon, je vous mettrai une note pour votre moyenne (c’était deux), bien que vous ne la méritiez pas, mais c’est en considération de votre jeunesse et dans l’espoir qu’à l’Université vous ne serez pas si léger.

Cette dernière phrase, dite devant un autre professeur qui me regardait avec un air de dire : « Eh bien ! Vous voyez, jeune homme ! » me troubla définitivement. Pendant un moment, mes yeux se couvrirent d’un brouillard, le terrible professeur et la table me semblaient quelque part, bien loin, et une idée horrible, avec une clarté extraordinaire, me vint en tête : « Eh !… qu’en sortira-t-il ? » Mais, je ne sais pourquoi, je ne fis pas cela, et au contraire, inconsciemment, je saluai très respectueusement les deux professeurs, puis en souriant un peu, et comme il me sembla du même sourire qu’avait Ikonine, je m’éloignai de la table.

Cette injustice produisit sur moi une telle impression, que si j’eusse été libre de mes actes, je ne me serais plus présenté. Je perdis toute ambition (il ne me fallait plus penser à être le troisième)