Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol20.djvu/161

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je ne puis ne pas concevoir l’infini. Je suis né de ma mère, ma mère de ma grand’mère, ma grand’mère de mon aïeule, etc., et la dernière de qui ? Inévitablement je suis amené à Dieu. Mes jambes, ce n’est pas moi ; mes bras, ce n’est pas moi ; ma tête, ce n’est pas moi ; mes sens, ce n’est pas moi ; mes idées même, ce n’est pas moi. Qu’est donc moi ? Moi = moi. Moi = mon âme. Mais quand on me dit que le nombre infini est premier ou non premier, pair ou impair, je ne comprends plus rien et je renonce à ma conception de l’infini. J’éprouve la même impression quand on me parle de Dieu, de son essence, de ses attributs, de ses personnes. Je ne comprends plus Dieu, je ne crois pas en ce Dieu. De même quand on me parle de mon âme, de ses attributs. Je ne comprends plus rien et je ne crois pas à cette âme. De quelque côté que je vienne à Dieu, ce sera la même chose : le commencement de ma pensée, de ma raison, c’est Dieu. Le commencement de mon amour c’est aussi lui. Mais si l’on me dit : Dieu a quatorze attributs : l’intelligence et la volonté, les personnes ; ou, Dieu est bon et juste ; ou, Dieu a créé le monde en six jours, je ne crois plus en Dieu. Ainsi en est-il de la conception de l’âme. Si je m’adresse à mon aspiration vers la vérité, je sais que cette aspiration est mon principe immatériel, mon âme. Si je m’adresse à mon sentiment de l’amour pour le bien, je sais que c’est mon âme