Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol22.djvu/162

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vent pas devenir bons et inversement. Cela n’est pas contraire à la doctrine de l’Église, selon laquelle ceux qui meurent repentants, grâce aux prières de l’Église, peuvent passer de l’état de souffrance à l’état de béatitude. Il faut comprendre ici, dans le sens absolu, les pécheurs et les justes.

Voici ce que dit Reuss (p. 505) :

2o La forme de la parabole laisse beaucoup à désirer au point de vue éthique. En effet, le v. 25 dit simplement et froidement : Toi, tu es tourmenté, parce que tu as reçu ta part de biens sur la terre ; lui, il a eu sa part de maux, donc il est consolé. La rémunération future est ainsi présentée comme une simple compensation matérielle, et le mérite moral n’y entre pour rien. On peut dire, à la rigueur, et l’on ne manque jamais de dire dans l’usage homélitique un homme sans pitié, parce qu’il a laissé le pauvre mourir de misère à sa porte même ; on peut ajouter que le v. 30 parle après coup de conversion. Mais on ne peut pas nier que d’après le texte, tel que nous l’avons, l’unique vertu de Lazare a été d’être pauvre autant qu’on peut l’être. Il n’est pas dit le moindre mot pour expliquer que cette pauvreté dépendait de sa propre conduite, comme c’est le cas, neuf fois sur dix, dans le monde des réalités ; il n’est rien dit des qualités morales qu’il aurait eues dans sa pauvreté. Son entrée au paradis n’est motivée en aucune façon, et au point de vue de la morale, l’exégèse est forcée d’amplifier le récit pour tourner cette difficulté. On est ainsi amené à penser qu’au gré de Jésus, la pauvreté par elle-même est un avantage et la richesse un désavantage, en vue du but final de la vie terrestre, et l’on ne manquera pas de passages parallèles à citer en faveur de cette thèse. Cependant cela ne nous paraît pas suffire pour expliquer le texte.

3o La difficulté est précisément celle que nous avons dû chercher à écarter dans le récit précédent. Il faut donc insister sur ce fait que Jésus, pas plus ici que la