Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol24.djvu/237

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des frères, ou des soeurs, ou son père, ou sa mère, ou sa femme, ou ses enfants, ou des champs, à cause de mon nom, il en recevra cent fois autant, et héritera la vie éternelle. Et personne ne bouge. La doctrine du monde dit : Abandonne ta maison, ton champ, tes frères, la campagne pour la ville corrompue, passe ta vie à travailler comme baigneur, nu, savonnant le dos d’autrui, ou comme apprenti de bazar à compter toute ta vie les kopeks d’autrui dans un sous-sol, ou comme procureur au tribunal, à rédiger toute ta vie des papiers destinés à empirer le sort des malheureux ; ou comme ministre, à signer perpétuellement à la hâte des papiers inutiles ; ou comme chef d’armée, à tuer des hommes toute ta vie ; vis de cette vie hideuse qui se termine toujours par une mort cruelle, et tu ne recevras rien ni dans ce monde ni dans l’autre. Et tout le monde accourt. Christ dit : Prends ta croix et suis-moi ; c’est-à-dire supporte avec résignation le sort qui t’est échu en partage et obéis-moi, moi qui suis ton Dieu, et personne ne bouge. Mais que le dernier des hommes galonnés dont le métier est de tuer ses semblables, ait la fantaisie de dire : Prends, non pas ta croix, mais ton havresac et ton fusil et suis-moi à toutes sortes de souffrances et à une mort certaine, — tout le monde accourt.

Abandonnant famille, parents, femmes, enfants, et placés sous les ordres du premier venu d’un rang plus élevé revêtu d’un costume carnavalesque,