Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol24.djvu/46

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peut-être Christ ne parle-t-il que des rapports personnels de chaque homme avec les tribunaux sans pour cela nier la justice, et admet-il dans une société chrétienne des individus qui, en corps constitué, jugent les autres ? Mais je vois que c’est encore inadmissible. Christ, dans sa prière, exhorte tous les hommes sans exception à pardonner, afin que leurs fautes leur soient également pardonnées. Et cette pensée, il l’exprime plusieurs fois. Chacun, en priant et avant d’apporter son offrande, doit pardonner à tout le monde. Si donc un homme, d’après sa religion, doit pardonner sans fin à tout le monde, comment peut-il juger et condamner ? Par conséquent, selon la doctrine du Christ, un juge chrétien ne peut condamner.

Mais peut-être croit-on que Christ en disant « Ne jugez pas » ne songeait pas précisément aux institutions judiciaires ? Il n’en est rien. Chez Matthieu et Luc, avant de dire : Ne jugez point, il dit : Ne résistez pas au méchant, supportez le mal, faites le bien à tous. Auparavant, selon Matthieu, il répète les termes de l’ancienne loi criminelle hébraïque : œil pour œil, dent pour dent. Après ce rappel de la loi criminelle, il dit : Mais vous, n’agissez point ainsi ; ne résistez pas au mal ; puis il ajoute : Ne jugez point. Ainsi Christ parle précisément de la loi criminelle humaine et la réprouve par les mots : ne jugez point.

En outre, d’après Luc, il dit non seulement : ne