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Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol26.djvu/228

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Dans le sujet qui m’occupe, se confirme ce que j’ai toujours cru : que la pratique découle inévitablement de la théorie — et ce n’est pas pour justifier cette théorie, — mais que la pratique ne peut être autre : si j’ai compris une affaire à laquelle j’ai réfléchi, alors je ne la peux faire autrement que je l’ai comprise.

Je voulais venir en aide aux malheureux parce que j’avais de l’argent et j’ai partagé la superstition générale que l’argent représente le travail, ou en général, quelque chose de légal et de bon. Mais quand je commençai à donner cet argent, je m’aperçus que je donnais des billets à ordre que j’avais tirés contre de pauvres gens, que je faisais comme beaucoup de propriétaires qui forçaient certains serfs à servir les autres. Je m’aperçus que chaque emploi d’argent, l’achat de quelque chose, sa transmission gratuite à un autre, c’est l’exigence de billets à ordre contre les pauvres, ou leur endossement au préjudice de ces mêmes pauvres. Et je vis clairement l’insanité de ce que je voulais faire : aider aux pauvres en exigeant des pauvres. J’ai vu que l’argent, en soi-même, non seulement n’est pas le bien, mais est le mal évident qui prive l’homme du bien essentiel : du travail et de la jouissance du travail et que je ne puis transmettre ce bien à personne, vu que j’en suis moi-même privé : je n’ai pas de travail et n’ai pas le bonheur de jouir de mon travail.