faire. Moi, je pensais secourir ces hommes avec l’aide des gens riches de Moscou. Je compris ici, pour la première fois, que chez tous ces malheureux que je voulais secourir, outre le temps, qu’en souffrant de faim et de froid, ils passent à attendre l’heure d’entrer à la maison, il leur reste encore du temps à employer à quelque chose : chaque jour a vingt-quatre heures, il y a encore une vie entière, à laquelle, auparavant, je n’avais pas pensé. Je compris ici, pour la première fois, que tous ces gens, outre le désir de se préserver du froid et de se rassasier, devaient encore utiliser d’une façon quelconque ces vingt-quatre heures par jour qu’il leur fallait vivre comme tous les autres. Je compris que ces gens devaient se fâcher, s’ennuyer, se distraire et se réjouir. Si étrange que cela paraisse, pour la première fois je compris clairement que l’œuvre que j’avais entreprise ne pouvait consister exclusivement à nourrir et à vêtir mille personnes, comme on nourrit et abrite mille moutons, mais à faire le bien des hommes. Quand j’eus compris que chacun de ces milliers d’hommes était un être tout à fait comme moi, avec le même passé, les mêmes passions, les mêmes convoitises, les mêmes erreurs, les mêmes idées, les mêmes inquiétudes, alors l’œuvre que j’avais commencée me parut tout à coup si difficile que j’eus conscience de mon impuissance.
Mais elle était commencée, je la continuai.