Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol3.djvu/261

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ce serait affreux, ce serait un crime. Faire d’elle une dame, la femme de Dmitrï Andréievitch Olénine, comme la Cosaque qu’a épousée notre officier, ce serait pire encore. Ah ! si je pouvais devenir Cosaque comme Loukachka, voler des chevaux, m’enivrer, chanter des chansons, tuer des hommes, et étant ivre, entrer chez elle la nuit par la fenêtre sans songer à ce que je suis et pourquoi je suis ainsi, alors ce serait une autre affaire, alors nous pourrions nous comprendre, alors je pourrais être heureux ! J’ai essayé de m’adonner à cette vie et alors, j’ai senti encore plus fortement ma faiblesse. Je ne pouvais oublier moi-même et mon passé compliqué, dissonnant, monstrueux ; et mon avenir m’apparaissait encore plus désespéré. Chaque jour, je vois devant moi des montagnes lointaines couvertes de neige et cette femme majestueuse, heureuse, et le seul bonheur possible au monde n’est pas pour moi ; cette femme n’est pas pour moi ! Le plus affreux, et le plus doux dans ma situation, c’est que je sens que je la comprends et qu’elle ne me comprendra jamais. Elle ne comprendra pas, non parce qu’elle est inférieure à moi, mais au contraire parce qu’elle ne doit me comprendre. Elle est heureuse, elle est comme la nature, égale, tranquille et renfermée ; et moi, être faible et infirme, je veux qu’elle comprenne mon infirmité et mes souffrances. Je ne dormais pas ; la nuit, sans aucun but, je marchais