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Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol3.djvu/327

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remercie Dieu tous les jours de m’avoir donné un tel fils !

— Vous écrit-il souvent ? — demandai-je.

— Rarement, petit père, peut-être une fois par an. Quand il envoie l’argent, alors il ajoute un mot : « Maman, si je ne vous écris pas — dit-il — c’est que je suis sain et sauf, et si, Dieu m’en préserve, il m’arrive quelque chose, alors on écrira sans moi. »

Quand je remis au capitaine le cadeau de sa mère (c’était chez moi), il me demanda un morceau de papier, l’y enveloppa soigneusement et le serra. Je lui narrai avec beaucoup de détails la vie de sa mère : le capitaine se taisait. Quand j’eus fini, il s’éloigna dans un coin et assez longtemps arrangea sa pipe.

— Oui, la bonne vieille ! — prononça-t-il de là, d’une voix sourde. — Dieu permettra-t-il que nous nous revoyions !

Dans ces paroles simples s’exprimaient beaucoup d’amour et de tristesse.

— Pourquoi servez-vous ici ? — demandai-je.

— Il faut donc servir — répondit-il avec conviction, — et pour les pauvres, le salaire double a une grande importance.

Le capitaine vivait très économiquement. Il ne jouait pas aux cartes, buvait rarement, fumait du tabac le plus ordinaire que je ne sais pourquoi, il