Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol3.djvu/345

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Vous savez que j’ai fait vœu de combattre les infidèles, prenez donc garde de le devenir.

Dans la voiture, on rit.

— Adieu donc, cher général.

— Non, au revoir — dit le général en montant les marches de l’escalier : — N’oubliez pas que je m’invite pour la soirée de demain.

La voiture s’éloigna.

« Voilà encore un homme, — pensai-je en entrant chez moi — qui a tout ce à quoi aspirent seulement les Russes : le grade, la richesse, la noblesse, et cet homme, devant le combat, dont Dieu seul connaît l’issue, plaisante avec une jolie femme et promet de prendre le thé chez elle le lendemain, comme s’il se rencontrait avec elle au bal ! »

Ici même, chez l’aide de camp, j’ai rencontré un homme qui m’étonna encore davantage : c’était un jeune lieutenant du régiment de K…, remarquable par sa douceur et sa timidité presque féminines. Il était venu chez l’aide de camp et exhalait son dépit et son indignation contre les hommes qui, disait-il, intriguaient pour qu’on ne l’envoyât pas au feu. Il disait que c’était une lâcheté d’agir ainsi, que c’était mauvaise camaraderie, qu’il se le rappellerait etc… J’avais beau observer l’expression de son visage, écouter les inflexions de sa voix, il m’était impossible d’y voir la moindre feinte, et je dus me convaincre qu’il était profon-