Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol3.djvu/436

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Mais le major qui, probablement, avait entendu maintes fois ce récit, tout à coup regarda son interlocuteur avec des yeux si vagues et si sombres que Kraft se détourna de lui et s’adressa à moi et à Bolkhov qu’il regarda tour à tour. Pendant tout son récit, il ne jeta pas un seul regard sur Trocenko.

— Voyez-vous, quand nous sortîmes le matin, le général en chef me dit : « Kraft ! prends ces retranchements ! » Vous connaissez le service militaire : c’est d’obéir sans discussion la main à la visière : « J’obéis, Votre Excellence, » et je partis. Comme nous approchions du premier retranchement, je me tourne et dis aux soldats : « Enfants, n’ayez pas peur ! Regardez bien devant vous ! De ma propre main, je fendrai du sabre celui qui restera en arrière ! » Vous savez, avec un soldat russe, il faut parler simplement. Tout à coup une grenade… Je vois un soldat, un autre, un troisième, ensuite les balles, dziiii ! dziiii ! dziiii ! « En avant, enfants, suivez-moi ! » dis-je. Une fois approchés, savez-vous, nous regardons, je vois comment… comment cela s’appelle-t-il ?…

Et l’interlocuteur agitait la main en cherchant le mot.

— Un ravin — souffla Bolkhov.

— Non… Ah ! comment donc ? Mon Dieu ! Ah, comment cela ? un ravin — fit-il rapidement. — Au pas de charge… Hourra ! ta ta ra ta ta ta !