Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol3.djvu/440

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le courage des peuples méridionaux sur l’enthousiasme qui s’échauffe très rapidement et se refroidit de même. Il est aussi difficile d’enflammer le soldat russe que de lui faire perdre courage. Il ne lui faut ni les effets, ni les discours, ni les cris guerriers, ni les chansons, ni les tambours, il lui faut au contraire, le calme, l’ordre et l’absence de toute excitation. Dans un vrai soldat russe on n’observe jamais la fanfaronnade, l’effronterie, le désir de s’enivrer, de s’échauffer pendant le danger, au contraire la modestie, la simplicité et la crainte de voir dans le danger toute autre chose que le danger même, sont les traits distinctifs de son caractère.

J’ai vu un soldat blessé à la jambe, qui au premier moment regrettait seulement que sa pelisse de peau d’agneau fût percée ; un conducteur qui, désarçonné du cheval tué sous lui, détachait la sous-ventrière pour retirer la selle. Qui ne se rappelle le cas qui se présenta au siège de Guerguebel, quand, au laboratoire, s’enflamma le tube d’une bombe chargée. L’artificier ordonna à deux soldats de prendre cette bombe et de courir la jeter dans un gouffre, mais les soldats ne la jetèrent pas dans l’endroit le plus proche de la tente du colonel qui était élevée sur le fossé, ils la portèrènt plus loin pour ne pas éveiller les chefs qui dormaient dans la tente et tous deux furent mis en pièces. Je me souviens encore qu’en 1852,