Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol3.djvu/48

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fille Marianka. À peine avait-elle le temps d’ouvrir la claie qu’une énorme bufflonne, tourmentée par les moucherons, en mugissant se heurtait à la barrière. Derrière elle suivaient lentement en se frappant les flancs avec leur queue, les vaches rassasiées, dont les grands yeux reconnaissent la maîtresse.

La belle et gracieuse Marianka franchit la large porte en jetant sa gaule, referma la claie, et, à toutes jambes, courut arranger le bétail dans la cour. « Déchausse-toi, fille du diable, tu abîmes tes souliers ! » cria la mère.

Mariana ne s’offensa nullement de l’épithète « fille du diable », qu’elle prit pour une tendresse, et gaiement continua sa besogne. Le visage de Mariana était enveloppé d’un fichu, elle avait une chemise rose, un bechmet vert. Elle disparut sous l’auvent de la cour, derrière une bufflonne grosse et grasse et de là, on entendit sa voix qui exhortait tendrement l’animal. « Reste-donc tranquille ! Eh bien, c’est fait, ma petite mère !… » Bientôt, la jeune fille et la vieille rentraient de l’étable dans l’izbouchka[1]. Chacune portant deux grands pots de lait, produit de la journée. De la cheminée d’argile de la cabane, s’élève bientôt la fumée du kiziak, le lait se transforme en caillé, la jeune fille attise la flamme et la vieille sort vers

  1. Chez les Cosaques on appelle Izbouchka (diminutif d'Izba) le petit réduit bas et froid où l’on met et conserve le lait. Parfois aussi, l’izbouchka sert de salle à manger.