Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol36.djvu/21

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faire des remontrances au sujet de la crème qui sentait la vache. Elle y trouva l’accouchée ayant auprès d’elle un bel enfant très bien portant. La vieille demoiselle, outre les remontrances au sujet de la crème, reprocha aux servantes d’avoir laissé dans l’étable une femme en couches ; puis elle se préparait à sortir quand, apercevant l’enfant, elle s’attendrit et exprima même le désir d’en être la marraine. Elle fit elle même baptiser la fillette et, s’apitoyant sur sa filleule, elle fit donner à la mère du lait et de l’argent, et l’enfant resta en vie. Les vieilles demoiselles l’appelaient même « la Sauvée. »

Celle-ci avait trois ans quand sa mère tomba malade et mourut. Sa grand’mère, la gardeuse de bétail, ne sachant que faire d’elle, les deux vieilles demoiselles prirent la fillette dans leur maison. C’était une enfant extraordinairement vive et gracieuse, avec de grands yeux noirs ; et les deux vieilles s’amusaient à la regarder.

La plus jeune, et aussi la plus indulgente de ces deux vieilles demoiselles, s’appelait Sophie Ivanovna ; elle était la marraine de l’enfant ; l’aînée, Marie Ivanovna, était bien plus sévère. Sophie Ivanovna parait l’enfant, lui enseignait la lecture, voulait en faire sa pupille. Marie Ivanovna disait qu’il fallait faire de la fillette une travailleuse, une bonne servante, et c’est pourquoi elle se montrait exigeante, punissait la fillette et, quand elle était de mauvaise humeur, allait jusqu’à la battre.