Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol36.djvu/73

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dit-il les yeux rivés sur le visage de celle-ci. — « Mais comment — Lubov » — pensa-t-il en entendant sa réponse.

Le président voulait poser une autre question, mais le juge aux lunettes, lui ayant dit avec humeur quelques mots, l’arrêta. Le président acquiesça d’un signe de tête et se tourna vers la prévenue.

— Comment Lubov ? — demanda-t-il ; — vous êtes inscrite sous un autre nom.

L’accusée gardait le silence.

— Je vous demande quel est votre vrai nom ?

— Votre nom de baptême ? — intervint le juge grincheux.

— Autrefois on m’appelait Catherine.

« Mais c’est impossible », se dit encore Nekhludov ; et pourtant il ne doutait plus, c’était bien là cette même fille, la pupille femme de chambre dont il avait été autrefois amoureux, oui, amoureux, et qu’il avait séduite dans un moment de folie, puis abandonnée ; depuis il ne se l’était jamais rappelée, ce souvenir lui était trop désagréable, lui montrait trop clairement que lui, si fier de sa loyauté, non seulement n’était pas loyal mais s’était conduit lâchement vis-à-vis de cette femme.

Oui, c’était-elle. Maintenant il reconnaissait clairement sur ses traits ce quelque chose de mystérieux qui caractérise chaque visage, le distingue