Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol37.djvu/16

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allumettes et un éteignoir. Devant la glace, sur la grande table, la valise était ouverte. Elle contenait le nécessaire de toilette et quelques volumes ; un livre russe : Essai et recherches sur la loi de la criminalité ; un livre allemand sur le même sujet et un livre anglais. Il s’était promis de les lire à ses moments de loisir, pendant son séjour dans ses propriétés, mais aujourd’hui il n’en avait plus le temps et il voulait aller se coucher, afin d’être prêt le lendemain de bonne heure pour son entretien avec les paysans.

Il y avait dans un coin un vieux fauteuil d’acajou à incrustations, et la vue de ce fauteuil, qui avait meublé autrefois la chambre à coucher de sa mère, éveilla soudain dans l’âme de Nekhludov un sentiment inattendu. Il se surprit à regretter cette maison, qui tomberait en ruines, et ce jardin qui resterait inculte, et ce bois qu’on couperait, et toutes ces dépendances : ces écuries, ces étables, ces granges, ces machines, ces chevaux, ces vaches, bien que lui-même n’eût point établi tout cela ni pris aucune peine pour les conserver. Tout à l’heure il lui semblait facile de renoncer à toutes ces choses, mais à présent il les regrettait, il regrettait même les terres et la moitié du revenu qui, maintenant, pouvait lui devenir si utile. Et aussitôt, il trouva des arguments qui le persuadaient qu’il avait tort de céder ses terres aux paysans et de leur abandonner l’exploitation de ses biens.