Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol37.djvu/20

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depuis le matin, restait suspendue en gouttelettes aux feuilles, aux branches et aux herbes. Une odeur de verdure et de terre avide de pluie pénétrait par la fenêtre ouverte. Tout en s’habillant, Nekhludov, à plusieurs reprises, mit la tête à la fenêtre, pour voir comment les paysans se groupaient sur la pelouse. Ils approchaient les uns après les autres, se saluaient en ôtant leurs bonnets ou leurs casquettes, et ils se mettaient en cercle ou s’appuyaient sur leurs bâtons. L’intendant, un jeune homme gros, trapu, musclé, en veston court, avec d’énormes boutons, et un col droit vert, annonça à Nekhludov que la réunion était au complet, mais que rien ne pressait, que les paysans attendraient et qu’il pouvait prendre d’abord son café ou son thé, car on avait préparé l’un et l’autre.

— Non, merci, je vais aller d’abord les voir, — dit Nekhludov, éprouvant un sentiment inattendu de timidité et de honte à la pensée de la conversation qu’il allait avoir avec les paysans.

Il allait réaliser le désir que ses paysans avaient toujours considéré comme un rêve. Il leur cédait à bas prix toutes les terres ; autrement dit, il allait leur faire du bien et il en éprouvait une sorte de honte. Quand Nekhludov fut près d’eux, que tous se furent découverts devant lui et qu’il vit à nu leurs têtes blondes, frisées, chauves, grises, le trouble qui le saisit l’empêcha longtemps de parler. La pluie continuait à tomber en