Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol37.djvu/23

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

homme sec, caché derrière un groupe. L’été dernier j’ai voulu faire une barrière et j’ai coupé un arbre, et pendant trois mois tu m’as envoyé nourrir mes poux en prison. Les voilà tes barrières.

— Que dit-il ? demanda Nekhludov à l’intendant.

Der erste Dieb im Dorfe, — répondit l’intendant en allemand. — Tous les ans il abat nos arbres. Apprends d’abord à respecter le bien d’autrui, dit l’intendant.

— Avec cela qu’on ne te respecte pas, reprit un vieillard. Nous y sommes bien forcés, puisque nous passons par tes mains et que tu nous tords comme chanvre.

— Hé, l’ami, on ne vous malmènera pas, si seulement vous ne malmenez pas les autres.

— Ah, oui, te malmener ! Tu m’as cassé la gueule, cet été, et il n’en a rien été. Au riche, on ne fait pas de procès, naturellement.

— Tu n’as qu’à agir suivant la loi.

Évidemment c’était là un tournoi de paroles, où les champions ne savaient pas même pourquoi ils discutaient. On remarquait seulement d’un côté, de la colère contenue par la crainte, et de l’autre, la conscience de la supériorité et du pouvoir. Nekhludov, peiné d’entendre cette altercation, essaya de ramener l’entretien à la question : établir les prix et les échéances des paiements.

— Eh bien, que décidez-vous au sujet de la