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Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol37.djvu/325

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jument, je mets sous le siège le foin qui reste. Elle s’installe, s’enveloppe dans son châle, et nous voilà partis. Elle se tait. Je me tais. Mais, en approchant de la maison, la voilà qui me dit : «Ta mère est-elle toujours en vie ? » — « Oui, » que je dis. — « Et ton père est-il toujours en vie ? » — « Oui, en vie ». Alors elle se met à me dire : « Tarass, pardonne-moi pour ma sottise. Je ne savais pas ce que je faisais ». Et moi je lui réponds : « Il n’y a pas de quoi parler ; il y a longtemps que je t’ai pardonné ». Ensuite, elle n’a plus rien dit. Mais en arrivant à la maison, la voilà qui se jette aux pieds de ma mère. Ma mère dit : « Dieu te pardonne ! » Et le père lui dit : « Ce qui est passé est passé. Vis maintenant pour le mieux. Ce n’est pas le moment d’en parler. Le travail ne manque pas dans les champs. Dieu nous a donné tant de seigle qu’on ne peut même pas le prendre avec le râteau, tellement il est enchevêtré. Il faut moissonner. Demain tu iras avec Tarass. » À dater de ce moment, frère, elle s’est mise à l’ouvrage. Et comme elle travaillait ! Ce n’est pas croyable. Nous avons loué à cette époque trois déciatines de terre. Le seigle et l’avoine, grâce à Dieu, avaient poussé en abondance. Moi je fauche, elle fait les gerbes, ou parfois nous fauchons tous deux. Moi je suis adroit à l’ouvrage, et elle est devenue encore plus adroite dans n’importe quelle besogne. Une femme courageuse, et jeune, et fraîche ! Elle était devenue