Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol4.djvu/105

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prononça-t-il en joignant les mains, il se souleva et étourdi, retomba sur le ventre.

Sa première sensation, en revenant à lui, fut le sang qui coulait du nez et le mal à la tête qui devenait beaucoup plus faible, « C’est l’âme qui s’en va ! » pensa-t-il, « Comment sera-ce là-bas ? Ô Seigneur, reçois mon âme en paix. Ce qui m’étonne — se disait-il — c’est au moment de mourir, de distinguer si clairement les pas des soldats et les sons des coups. »

— Apporte le brancard… Eh !… Le capitaine est tué ! — cria au-dessus de sa tête une voix qu’il reconnut involontairement pour celle du tambour Ignatiev.

Quelqu’un le prit par les épaules. Il essaya d’ouvrir les yeux. Il vit au-dessus de sa tête le ciel bleu foncé, des groupes d’étoiles et deux bombes qui volaient au-dessus de lui, en se rejoignant. Il distingua Ignatiev, les soldats avec le brancard et les fusils, le rempart, la tranchée, et soudain il se sentit encore de ce monde.

Une pierre l’avait légèrement blessé à la tête. Son premier mouvement fut presque du regret. Il se préparait si bien et si tranquillement au passage vers l’au-delà qu’il était désagréablement impressionné par le retour à la réalité : aux bombes, aux tranchées, au sang. La seconde impression fut la joie inconsciente d’être vivant, et la troisième, le désir de quitter au plus vite le bas-