Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol4.djvu/147

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ne suis pas déjà si jeune ! Je ne rougirai plus. Mon visage respirera le courage, et d’assez longues moustaches pousseront. » Et il tirait le petit duvet qui entourait sa bouche. « Peut-être arriverons-nous aujourd’hui, et tomberons-nous en pleine affaire. Il doit être tenace et très courageux, mon frère, un de ceux qui ne parlent pas beaucoup mais agissent mieux que les autres. Je désirerais savoir si c’est exprès ou non qu’il me pousse au bord de la charrette ? Il sent probablement que je suis gêné et il feint de ne pas le remarquer. Voilà, nous arriverons aujourd’hui, » continuait-il à ressasser en se serrant au bord de la charrette et craignant de remuer pour ne pas laisser voir à son frère qu’il était gêné, « et tout droit au bastion. Moi avec les armes, mon frère avec la compagnie, et nous irons ensemble. Si seulement, tout d’un coup, les Français se jettent sur nous, je tirerai, je tirerai. J’en tuerai beaucoup. Mais quand même ils courront tout droit sur moi. On ne peut déjà plus tirer, et sans doute n’en réchapperai-je pas. Seulement, tout à coup, mon frère part en avant avec son sabre, moi, je prends un fusil et nous courons ensemble avec les soldats. Les soldats se jettent sur mon frère. J’accourrai, je tuerai un Français, un autre et je sauverai mon frère. On me blesse au bras, je prends le fusil de l’autre main et quand même je cours. Mais près de moi, mon frère est tué d’une balle. Je m’arrête pour un moment, je