Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol4.djvu/236

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se bousculait ; les officiers à cheval se hâtaient avec des ordres ; les habitants ainsi que les brosseurs porteurs de bagages, pleuraient et suppliaient, qu’on voulût bien les laisser passer. Avec un bruit de roues, se frayant un chemin dans la baie, l’artillerie s’éloignait à la hâte. Malgré l’entraînement des occupations diverses, un sentiment de sauvegarde et de désir de sortir le plus vite possible de cet endroit terrible de mort, était dans l’âme de chacun. Il était chez les soldats mortellement atteints qui se trouvaient parmi cinq cents autres blessés sur le sol pavé du quai Paul et qui suppliaient Dieu de leur donner la mort ; chez les miliciens qui, faisant un dernier effort, se serraient dans la foule pour laisser le passage au général à cheval ; chez le général qui refrénait la hâte des soldats ; chez le matelot qui se tenait sur le bateau vacillant et qui était poussé par la foule grouillante jusqu’à perdre haleine ; chez l’officier blessé que quatre soldats emportaient sur un brancard et qui, arrêtés par la foule compacte, le posaient sur le sol près de la batterie Nicolas ; chez un artilleur resté seize ans près de son canon, et qui, par un ordre des chefs, incompréhensible pour lui, avec l’aide de ses camarades, poussait le canon de la pente abrupte dans la baie ; chez les marins qui venaient de couler leurs bâtiments et ramaient bravement sur les chaloupes qui s’en éloignaient.