Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol4.djvu/390

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présence de ce quelque chose, et ouvrant rarement la source mystérieuse du cœur, de jouir de la contemplation de ces richesses, pour verser à quelqu’un, sans réfléchir, tout ce qui y était contenu. Dieu fasse qu’elle jouisse jusqu’au tombeau de ce bonheur avare…, qui sait s’il n’est pas meilleur, plus fort et si ce bonheur n’est pas le seul vrai et possible ?

« Mon Dieu, Seigneur, — pensait-elle, — ai-je perdu en vain le bonheur et la jeunesse, et maintenant ne les retrouverai-je jamais ? Est-ce vrai ? » Et elle regardait fixement le ciel haut et clair autour de la lune et les nuages blancs, moutonnés, qui en masquant les étoiles, s’approchaient de la lune. « Si ce petit nuage blanc, le plus haut, atteint la lune, alors c’est vrai, » pensa-t-elle. Les nuages transparents, brumeux, masquaient la moitié inférieure du disque clair et peu à peu la lumière commença à faiblir sur la terre, sur le sommet des tilleuls, sur l’étang : les ombres noires des arbres devenaient moins visibles. Comme pour accompagner l’ombre qui voilait la nature, un vent léger passait dans les feuilles et apportait jusqu’à la fenêtre l’odeur de la rosée des feuilles, de la terre humide, des lilas fleuris.

« Non, ce n’est pas vrai, » se consolait-elle. « Voilà, si le rossignol chante cette nuit, ce sera signe que tout ce que je pense est sottise et qu’il ne faut pas désespérer, » pensa-t-elle. Longtemps encore elle restait assise en silence, dans l’attente