Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol5.djvu/149

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bout de la rue, brillaient des feux, mais ces feux se balançaient comme un reflet. Le bâtiment se rapprochait de plus en plus d’Albert, et se dessinait de plus en plus net, mais les feux disparurent dès qu’Albert pénétra sous les larges portes. L’intérieur était sombre, des pas isolés éclataient sonores sous la voûte et, à son approche, des ombres s’enfuyaient en glissant. « Pourquoi suis-je venu ici ? » — pensa Albert. — Mais une force invincible le poussait en avant au fond d’une immense salle… Là-bas, il y avait une estrade et, autour, des gens se tenaient silencieux. « Qui parlera ? » demanda Albert. Personne ne répondit, mais on lui désigna l’estrade. Sur l’estrade, déjà, était debout un homme grand et maigre, aux cheveux hérissés et en robe de chambre bariolée. Albert reconnut aussitôt son ami Pétrov. « Comme c’est étrange qu’il soit ici ! » pensa Albert. « Non, frères ! — disait Pétrov en désignant quelqu’un, — vous n’avez pas compris un homme qui vivait parmi vous ; vous ne l’avez pas compris ! Ce n’est pas un artiste à vendre, un exécuteur mécanique, pas un fou, un homme perdu ; c’est un génie, un grand génie musical égaré parmi nous, inaperçu et inapprécié. »

Albert comprit aussitôt de qui parlait son ami, mais, pour ne pas le gêner, par modestie, il baissa la tête.

— « À cause de ce feu sacré que nous servons