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Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol5.djvu/153

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salle, — pensait Albert, — Pétrov doit encore me dire autre chose. » Dans la salle il n’y avait plus personne et au lieu du peintre Pétrov, Albert lui-même était debout sur l’estrade et jouait sur le violon tout ce qu’auparavant disait la voix.

Mais le violon était étrangement fait, il était en verre. Il fallait le tenir à deux mains et le serrer contre sa poitrine pour qu’il rende des sons. Les sons étaient doux et agréables, tels qu’Albert n’en avait jamais entendus. Plus il serrait le violon sur sa poitrine, plus les sons étaient charmeurs, doux, et hauts, plus ils étaient rapides et plus les murs de la salle s’éclairaient d’une lumière transparente. Mais il fallait jouer prudemment pour ne pas briser le violon. Albert jouait sur cet instrument de verre avec prudence et maîtrise. Il jouait des morceaux qu’il sentait mais que personne jamais n’entendrait. Il commençait à être fatigué, quand il fut distrait par un son lointain et sourd. C’était le son d’une cloche. Mais ce son prononçait ces mots : « Oui, — disait la cloche dans un tintement aigu et lointain, — il vous semble misérable, vous le méprisez, mais il est le meilleur et le plus heureux ! Personne jamais ne jouera de cet instrument ! »

Ces paroles qu’il connaissait lui semblaient soudain si intelligibles, si neuves, et si justes, qu’Albert cessa de jouer, et, en s’efforçant de ne pas remuer, souleva les mains et les yeux vers le ciel.