Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol5.djvu/154

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Il se sentait beau et heureux. Il n’y avait personne dans la salle mais cependant Albert bombait sa poitrine, dressait fièrement la tête, et restait sur l’estrade afin que tous pussent le voir. Tout à coup une main le toucha légèrement à l’épaule. Il se retourna et dans la demi-lumière, il aperçut une femme.

Elle le regardait tristement et hochait la tête. Il comprit aussitôt que ce qu’il faisait était mal et il eut honte.

— « Où donc ? » — lui demanda-t-il. Elle le regarda encore un peu, fixement, avec tristesse, et hocha la tête.

C’était bien celle qu’il aimait, son costume était le même, des perles entouraient son cou blanc, ses beaux bras étaient nus jusqu’au coude. Elle le prit par la main et le mena en dehors de la salle.

— « La sortie est de l’autre côté, » — dit Albert ; mais, sans répondre, elle sourit et l’emmena hors de la salle. Sur le seuil Albert aperçut la lune et l’eau. Mais l’eau n’était pas en bas, comme ordinairement, comme à l’ordinaire la lune n’était pas au ciel, en haut, mais la lune et l’eau étaient ensemble et partout, en haut et en bas, et tout autour. Albert se jeta avec elle dans la lune et dans l’eau et il comprit que maintenant il pouvait embrasser celle qu’il aimait le plus au monde. Il l’embrassait et ressentait un bonheur infini.

— « N’est-ce pas un rêve ? » — se demanda-t-il.