Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol5.djvu/163

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ment, et d’aisance isolée dans la satisfaction commode et agréable de ses besoins. De tous côtés brillaient les dentelles et les cols les plus immaculés, les dents les plus éblouissantes, vraies et fausses, les visages et les mains les plus blancs. Mais ces visages, parmi lesquels il y en avait de très jolis, n’exprimaient que la conscience du bien-être égoïste et l’absence absolue d’attention pour tous les autres, pour tout ce qui ne se rapportait pas directement à leur propre personne, et les mains les plus blanches, ornées de bagues, entourées de manchettes, ne se remuaient que pour rajuster le col, couper la viande, verser du vin : aucune émotion de l’âme ne se reflétait dans leurs mouvements. Les membres d’une famille échangeaient de temps en temps, à mi-voix, quelques mots sur le goût agréable de tel ou tel mets ou du vin et sur la belle vue du mont Righi. Les voyageurs et les voyageuses isolés étaient assis côte à côte, silencieux et même ne se regardaient pas l’un l’autre. Rarement deux d’entre ces cent personnes causaient entre elles, mais c’était sur le temps et sur l’ascension du Righi. Les couteaux et les fourchettes frappent à peine les assiettes, on prend peu de chaque mets ; on mange les petits pois et les légumes absolument avec la fourchette. Le maître-d’hôtel, gagné malgré lui par le silence général, demande en chuchotant : « Quel vin désirez-vous ? » De tels, repas me sont toujours