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Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol5.djvu/174

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de nouveau tendit la main avec le chapeau, mais la retira aussitôt. Et pour la seconde fois, de ces centaines de personnes magnifiquement vêtues, pas une ne lui jeta un sou. La foule sans pitié éclatait de rire. Le petit chanteur, à ce qu’il me semblait, devenait encore plus petit. La guitare d’une main, de l’autre soulevant son chapeau il prononça : « Messieurs et mesdames, je vous remercie et vous souhaite une bonne nuit, » et il se recoiffa. La foule éclata d’un rire joyeux. Peu à peu les dames et les messieurs élégants se retirèrent des balcons en causant tranquillement entre eux. Sur le boulevard, la promenade recommença. La rue, silencieuse pendant le chant, s’anima de nouveau ; quelques hommes seulement, sans s’approcher du chanteur, le regardaient de loin et riaient. J’entendis le petit homme marmonner entre ses dents, il se tourna, et comme s’il devenait encore plus petit, prit à pas rapides la direction de la ville. Les gais noceurs qui le regardaient, le suivaient à une certaine distance et riaient.

J’étais tout à fait ahuri. Je ne comprenais pas ce que tout cela signifiait, et restais hébété à la même place. Je regardai dans l’obscurité le petit homme qui s’éloignait et qui, en accélérant le pas, marchait rapidement à la ville, et les noceurs qui riaient et le suivaient. Je ressentis quelque chose de pénible, d’amer, et surtout j’étais triste pour le petit homme, pour la foule et pour moi-même,