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Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol5.djvu/175

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comme si j’avais demandé de l’argent et qu’on m’eût refusé et ri au nez. Moi aussi, sans regarder, le cœur serré, j’allai à pas rapides chez moi, à Schweizerhof. Je ne me rendais pas compte encore de ce que j’éprouvais, seulement quelque chose de lourd, de vague emplissait mon âme et m’étouffait.


Sur le magnifique perron éclairé, je rencontrai le portier qui s’effaça poliment, et une famille anglaise. Un homme fort, beau et grand avec des favoris noirs à l’anglaise, en chapeau noir et un plaid sur le bras, une canne de prix à la main, à pas lents, sûrs, tenait sous le bras la dame en robe de soie bariolée, en coiffure à rubans clairs avec de magnifiques dentelles. À côté d’eux allait une demoiselle très jolie, fraîche, en élégant chapeau suisse orné d’une plume à la mousquetaire au-dessous duquel tombaient sur son visage blanc de longues et soyeuses boucles blondes. Devant sautillait une fillette de dix ans, rose, dont on apercevait les genoux potelés au-dessous de fines dentelles.

— La charmante nuit, — dit la dame d’une voix douce, satisfaite, au moment où je passais.

Ohé ! mugit paresseusement l’Anglais, qui évidemment avait si bon vivre qu’il ne se sentait pas même envie de parler. Et tous semblaient si contents d’ètre au monde, leurs mouvements,