Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol5.djvu/179

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C’était un homme très petit, bien proportionné, veiné, presqu’un nain avec une chevelure noire, raide, de grands yeux noirs toujours larmoyants et privés de cils, la bouche petite, très agréable et se plissant joliment. Il avait des favoris courts, ses cheveux n’étaient pas longs, son costume était simple et pauvre. Il était malpropre, déchiré, bruni, et en général avait l’air d’un travailleur. Il ressemblait plutôt à un marchand pauvre qu’à un artiste, seulement dans ses yeux toujours humides et brillants, dans sa petite bouche plissée il y avait quelque chose d’original et de touchant. D’après son aspect, on pouvait lui donner de vingt-cinq à quarante ans ; il en avait trente-huit.


Voici ce qu’avec une hâte naïve, et une franchise évidente, il me raconta de sa vie. Originaire de l’Argovie, encore enfant, il perdit son père et sa mère et resta sans aucun parent. Il n’avait jamais eu de fortune. Il apprit le métier de menuisier. Mais, il y a de cela vingt-deux ans, la carie des os du bras lui était survenue, il ne put exercer sa profession. Dès l’enfance il avait montré des dispositions pour le chant et il se mit à chanter. Les étrangers, de temps en temps, lui donnaient de l’argent. Il se fit une profession, acheta une guitare et, depuis dix-huit ans déjà, il parcourt la Suisse et l’Italie en chantant devant les hôtels. Tout son bagage, c’est sa guitare et sa bourse où