Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol5.djvu/178

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les poches causait avec la servante boiteuse. Il s’efforçait visiblement de nous donner à comprendre que, se sentant par sa situation sociale et ses qualités, infiniment au-dessus du chanteur, non seulement ce n’était pas humiliant de nous servir, mais plutôt amusant.

— Vous désirez du vin ordinaire ! — fit-il d’un air de connaisseur, en clignant des yeux vers mon interlocuteur et jetant sa serviette d’un bras sur l’autre.

— Du champagne et du meilleur, — dis-je en tâchant de prendre l’air le plus fier et le plus imposant. Mais ni le champagne, ni mon prétendu air fier et imposant n’agirent sur le valet ; il sourit, resta debout un moment à nous dévisager, sans se hâter il tira sa montre d’or et à pas lents, comme s’il se promenait, il sortit de la salle. Bientôt il revint avec le vin, deux valets l’accompagnaient. Ils s’assirent près de la servante, et dans une attente grave, avec un léger sourire sur le visage, ils nous admirèrent comme les parents admirent leurs chers enfants qui jouent gentiment. Seule la récureuse de vaisselle semblait ne pas nous regarder avec moquerie mais avec compassion. Il m’était désagréable et j’étais gêné de causer avec le chanteur et de le régaler aux yeux des valets, mais je m’efforcais de le faire, autant que possible, de la façon la plus dégagée. À la lumière je l’examinai mieux.