Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol5.djvu/184

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— Oui, si après une première observation, vous continuez de chanter, on peut vous mettre en prison. J’y ai déjà passé trois mois, dit-il en souriant, comme au plus agréable des souvenirs.

— Ah ! c’est terrible. Mais pourquoi donc ?

— C’est comme ça chez eux, d’après les nouvelles lois de la république, continua-t-il en s’animant. Ils ne veulent pas comprendre qu’il faut que le pauvre vive d’une façon ou d’une autre. Si je n’étais pas infirme, je travaillerais, et si je chante, est-ce que je fais du tort à quelqu’un, quelle justice ! les riches peuvent rire comme ils veulent et un pauvre tiaple comme moi, ne peut déjà vivre !… Les voilà les lois de la république ! Si c’est comme ça, vous ne voulez pas la république, n’est-ce pas, monsieur ? Nous ne voulons pas la république, mais nous voulons… nous voulons simplement… nous voulons…

Il s’arrêta un peu. — Nous voulons les lois naturelles.

Je remplis de nouveau son verre.

— Vous ne buvez pas, lui dis-je.

Il prit le verre et me salua.

— Je vois ce que vous voulez, fit-il en clignant de l’œil, et me menaçant du doigt, vous voulez m’enivrer et voir ce que je ferai, mais vous n’y arriverez pas.

— Qu’ai-je besoin de vous enivrer ? Je désirais seulement vous faire plaisir.