Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol5.djvu/190

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indignation. Mais par bonheur, bien que cela me fût désagréable alors, on nous laissa tranquilles.

Le chanteur qui auparavant refusait du vin, maintenant buvait avidement tout ce qui restait dans la bouteille afin de sortir plus vite.

Cependant, avec émotion, me sembla-t-il, il me remercia pour ce régal. Ses yeux larmoyants devinrent encore plus larmoyants et il prononça une phrase de reconnaissance des plus étrange et embrouillée. Mais néanmoins, cette phrase, où il disait que si tous estimaient les artistes comme moi ce serait une bonne chose pour lui, et qu’il me souhaitait du bonheur, m’était très agréable.

Nous sortîmes ensemble dans le vestibule. Ici se trouvaient les valets et mon ennemi le portier qui, je crois, se plaignait de moi à eux. Tous paraissaient me regarder comme un fou. Je donnai au petit homme le temps de rejoindre le public, et alors, avec tout le respect possible, avec tout le respect que j’étais capable d’exprimer, j’ôtai mon chapeau et serrai sa main aux doigts secs et osseux. Les valets feignirent de ne faire nulle attention à moi. Un seul fit entendre un rire sardonique.

Quand le chanteur, après avoir salué, disparut dans l’obscurité, je montai chez moi, désirant oublier toutes ces impressions et la colère sotte, enfantine qui, si inopinément, s’était emparée de moi.

Mais trop ému pour dormir je sortis de nouveau dans la rue pour marcher jusqu’à ce que je fusse