Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol5.djvu/266

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— Ne craignez rien, — dit-il en souriant. Je n’ai qu’à me justifier. Quand j’ai commencé à parler, je voulais raisonner.

— Pourquoi raisonner, — dis-je, — il ne le faut jamais !

— Oui, j’ai mal raisonné. Après toutes mes désillusions, toutes les erreurs de ma vie, quand je suis arrivé cette fois à la campagne, j’avais résolu que l’amour n’existait plus pour moi, qu’il ne me restait que le devoir de déterminer ma vie ; pendant longtemps je ne me rendis pas compte du sentiment que j’éprouvais pour vous et à quoi il pouvait me conduire, j’espérais et n’espérais pas : tantôt il me semblait que vous étiez coquette, tantôt je vous croyais sincère et ne savais moi-même ce que je ferais. Mais après cette soirée, rappelez-vous, quand la nuit nous nous promenâmes au jardin, je m’effrayai ; mon bonheur d’à présent me semblait trop grand et impossible. Eh bien ! Que serait-il arrivé si j’avais espéré en vain ? Mais sans doute, je ne pensais qu’à moi, parce que je suis un vilain égoïste.

Il se taisait et me regardait.

— Cependant, ce n’était pas tout à fait une plaisanterie, ce que j’ai dit alors. Je pouvais et devais donc avoir peur. J’accepte beaucoup de vous et je puis vous donner si peu. Vous êtes encore une enfant, une fleur pas encore épanouie, vous aimez pour la première fois et moi…