Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol5.djvu/306

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Sergueï Mikhaïlowich, ce n’est pas pour le grand-duc que je l’en prie, c’est pour nous tous. La comtesse R… la supplie !

— Cela dépend d’elle, — répondit froidement mon mari, et il sortit.

Je vis qu’il était ému plus qu’à l’ordinaire ; cela m’inquiétait et je ne promis rien à ma cousine. Dès qu’elle partit, j’allai vers mon mari. Il marchait, songeur, de long en large, et ne remarqua pas comment, sur la pointe des pieds, j’entrai dans la chambre. « Il se représente déjà la charmante maison de Nikolskoié, — pensai-je en le regardant, — et le café du matin dans le salon clair, et ses champs et ses paysans, et les soirées au divan, et les soupers mystérieux la nuit. Non ! me dis-je, je donnerais tous les bals du monde et les adulations de tous les grands-ducs pour sa confusion joyeuse, pour ses caresses douces. » Je voulais lui dire que je n’irais pas au bal et ne voulais pas y aller, quand, tout à coup, il m’aperçut ; il fronça les sourcils, l’expression douce et pensive de son visage le quitta. De nouveau la perspicacité, la sagesse et la tranquillité protectrice s’exprimaient dans son regard. Il ne voulait pas que je le visse tout simplement comme un homme ; il lui fallait être, devant moi, un demi-dieu placé sur un piédestal.

— Qu’as-tu, mon amie ? — demanda-t-il négligemment, avec calme, en se tournant vers moi.

Je ne répondis pas. J’étais fâchée qu’il se cachât