Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol5.djvu/333

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sait seulement en ce qu’il ne me donnait pas toute son âme comme autrefois. Mais il ne la donnait à personne et à rien, comme s’il n’en avait pas.

Parfois je me disais qu’il feignait seulement pour me tourmenter, mais qu’en lui vivait encore le sentiment ancien, et j’essayais de l’éveiller. Mais chaque fois il avait l’air d’éviter la franchise, comme s’il me soupçonnait de feindre et craignait, comme ridicule, chaque sentimentalité. Son regard et son ton semblaient dire : « Je sais tout, je sais tout. Il n’y a rien à me dire, mais je sais tout ce que tu veux dire. Je sais aussi que tu diras une chose et feras une autre. » Au commencement je m’effrayai de cette peur de la franchise, mais ensuite je m’habituai à cette pensée que ce n’était pas un manque de franchise, mais l’absence du besoin de franchise. Maintenant, la langue ne me tournait pas pour lui dire spontanément que je l’aimais, ou lui demander de prier avec moi ou de m’entendre jouer. Entre nous on sentait déjà certaines conditions de convenance. Nous vivions chacun à part, lui avec ses occupations qui maintenant m’étaient indifférentes, moi avec mon oisiveté qui ne le choquait et ne l’attristait pas comme auparavant. Les enfants étaient encore trop petits et ne pouvaient encore nous unir.

Mais le printemps arriva. Katia et Sonia vinrent à la campagne pour passer l’été ; on réinstalla notre maison de Nikolskoié et nous allâmes vivre